On connaît certainement le problème des neuf points qu’il faut joindre par quatre lignes droites sans relever le crayon du papier. Il est impossible de le faire « sans sortir du carré ». Le hic est qu’on construit dans son esprit les neuf points en forme de carré, et non comme trois triplets de trois points équidistants.

De la même façon, si l’on regarde le monde des autres du même point de vue que nous observons le nôtre, on découvre à un moment donné que nos repères familiers ne nous servent plus. Il faut sortir des carrés ou des boîtes confortables que nous avons construits en imagination autour de nous.

Quelles sont donc les expériences formatrices qui, dans ma vie professionnelle, m’ont aidé à sortir de mon carré particulier ?

Je vais parler de quelques-uns de mes faux-pas, plutôt que de présenter mes soi-disant succès, car ce sont souvent les « gaffes » et les incertitudes qui nous offrent la meilleure occasion d’apprendre et d’approfondir notre connaissance du monde qui nous entoure.

Lorsque je suis devenue formatrice d’adultes, cela n’a pas été planifié et je n’y pensais même pas. J’ose dire que c’est plutôt une vocation qui m’a été reconnue par quelqu’un qui a vu en moi ce potentiel. J’avais quitté l’enseignement pour une carrière dans la vente de produits cosmétiques pour une compagnie multinationale. C’était un changement radical dans mon parcours professionnel, dicté par des raisons économiques : j’avais besoin de gagner plus d’argent pour entretenir ma famille. Nous traversions une étape de vie très difficile et le salaire d’institutrice ne suffisait plus. Alors, j’ai saisi une autre opportunité et je m’y suis lancée. Cette fois j’avais un but précis : acquérir des compétences nouvelles et gagner plus d’argent pour payer le traitement médical de mes parents. Après une première expérience de représentante de ventes, j’ai formé ma propre équipe qui s’est vite agrandie. Au bout d’un an je décrochais un poste de directrice régionale et un an après le directeur national me proposait la promotion en tant que formatrice. Je n’en revenais pas ! Pourquoi moi parmi tous les autres 40 directeurs régionaux ? Pour mon dynamisme – on m’a répondu – pour ma force de motiver les autres et… pour ma formation pédagogique.

Ainsi je bouclais un cycle, en retournant à mon « premier amour », la formation. Mais cette fois-ci j’avais devant moi des adultes et la construction de compétences professionnelles est devenue le véritable enjeu. J’ai dû apprendre qu’un formateur d’adultes n’est pas un enseignant qui s’adresse à des adultes. Il renonce à tourner à toute allure les pages du texte du savoir, il crée des situations où l’on apprend  » à faire en le faisant, ce qu’on ne sait pas faire  » à analyser sa pratique et les problèmes professionnels rencontrés. J’ai donc appris le métier de formatrice à « l’école active » liée au pragmatisme nord-américain, le « learning by doing » qui rend l’élève acteur de sa formation.

Lors des premiers cours que j’ai conduit, j’allais me heurter aux systèmes de croyance qui persistaient bien après la fin de l’époque communiste. Historiquement, c’était une relation très formellement hiérarchique, qui influençait la façon de considérer la position d’un formateur. Surtout s’il venait de l’étranger, le formateur était facilement investi d’une sagesse qu’il ne méritait pas nécessairement. Moi, je ne venais pas de l’étranger mais j’avais grimpé les échelons très vite, j’allais donc subir « le drame du meilleur ». Tandis que j’avais hâte d’exercer mon rôle de formateur, d’entraîneur, les personnes que j’avais devant moi réagissaient comme des élèves qui attendaient que je leur apprenne une leçon. C’était l’enseignante qu’ils attendaient de moi.

J’ai dû me repositionner et leur expliquer mon rôle : développer des compétences est au cœur du métier de formateur, qui prend la figure d’un entraîneur davantage que d’un « transmetteur » de savoirs ou de modèles. Ce fut pour moi une prise de conscience fondamentale.

Une autre expérience, plus récente, m’a bousculé plus que toute autre expérience antérieure. Il s’agit de mon début en tant que formatrice en Suisse. Au choc culturel que j’avais sous-estimé, s’ajoute ici la spécificité du public. Si en Roumanie je formais des personnes motivées dont le but était d’avancer dans leur carrière, ici mon public était constitué de chômeurs, des personnes qui ont d’autres obstacles à surmonter, surtout de nature psychologique.

A leur entrée en formation de « mise à jour », beaucoup sont mal à l’aise, peu assurés, peu confiants en eux, renfermés, solitaires, ayant peur de communiquer et d’être mal compris. Ils éprouvent un sentiment de honte et d’infériorité, se croient mal considérés par les autres et s’estiment souvent trop âgés pour apprendre de nouvelles compétences. Dans ce contexte, il est évidemment difficile de faire naître chez ces personnes une motivation pour entamer une formation, car elles ont peur du formateur, de l’échec, des moqueries.

Comment donc revaloriser la personne à ses propres yeux ? Et comment s’appuyer sur son vécu pour donner sens aux savoirs « formalisés » ? Bien évidemment, j’ai mis en œuvre mon savoir-faire acquis lors de mes expériences antérieures. J’avais plein le sac de techniques de motivation, jeux d’équipe, en fait tout « l’arsenal » de techniques apprises et vérifiées lors de mes formations conduites auparavant.

Mais là, c’est le choc ! Mon dynamisme leur faisait presque peur, mes techniques utilisées pour renforcer la confiance en soi se heurtaient d’un mur invisible, comme si j’avais porté atteinte à leur intimité. Rien ne fonctionnait conformément à mes attentes. J’étais déstabilisée. Alors j’ai cherché la réponse auprès d’autres collègues formateurs. Grâce à leur feed-back pertinent et ancré dans la culture régionale, j’ai compris ce que j’avais fait faux.

Je voulais appliquer un modèle qui fonctionnait bien dans mon contexte d’origine, mais qui risquait d’insulter mes participants, malgré le fait que je savais bien que je n’aurais pas fait un tel faux pas chez moi, avec des personnes de la même culture. Dès que l’on se trouve à l’étranger, on risque de rester plus fortement collé à ses habitudes comme à une « barrière de sécurité ». Au contraire, j’ai compris qu’il fallait se déshabiller culturellement si l’on veut éviter de devenir inaccessible, ou pire encore, d’offenser les apprenants avec lesquels on travaille.

J’ai pris conscience que cela n’est qu’une étape de mon intégration et surtout de mon adaptation à ce nouveau public. Être formateur c’est  permettre à d’autres d’acquérir leur propre style. Les apprenants que je forme aujourd’hui ont leur propre vision du monde. Je dois aussi me poser la question en tant que formatrice si je peux aider à faire préciser leur propre vision du monde.

Car on ne peut pas apprendre une chose nouvelle, aussi désirable soit-elle, si l’on refuse à changer.

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Bon pour la tête

L’élément humain – Comprendre le lien entre estime de soi, confiance et performance

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